L. n'était plus qu'à quelques pas de ce mystérieux port. Derrière lui, le long ruban clair de la plage formait une étrange route dans le bleu de la nuit.
Alors qu'il s'approchait de l'unique ponton dont le bois craquait sous le doux ressac, il contemplait , découpant la lune, l'impressionnante silhouette d'un trois-mâts à la proue fièrement dirigée vers l'horizon.
Des hommes le chargeaient silencieusement, telles les ombres qu'il apercevait depuis son arrivée dans le Pays, ombres qui le fuyait dès qu'il les approchait.
Non loin du ponton, une auberge aux murs épais étouffait encore pour quelques minutes les bruits des passagers qu’elle accueillait pour cette direction inconnue.
L. était maintenant à quelques mètres du ponton et nul ne semblait faire attention à lui. Le long balai des marins au dos courbé et portant leur chargement se continuait devant lui.
Que portaient-ils? Où allaient-ils? Il tenta de se mettre sur le chemin du premier d'entre eux. Celui-ci fit un pas de côté et poursuivit son chemin.
Tous pourtant, lui semblaient familiers….Le premier baiser volé…Il se dirigea alors vers l’auberge, mais (comme à chaque fois qu’il allait vers un lieu habité), celle-ci devint moins tangible, impossible à atteindre, s’éloignant sans cesse, comme dans un rêve où tout vous échappe.
L. sourit à cela. Tout aurait été trop simple.
Il se retourna : le navire avait déjà appareillé et, voiles claquant au vent, il se séparait déjà du ponton……l’odeur de ce gâteau sortant du four…
L. se précipita vers lui.. Arrivé au bout du ponton, il contempla la gigantesque coque qui passait silencieusement devant lui ..
Des passagers le regardaient….le sourire d’un vieillard devant l’enfant qui passe, tenant la main de sa mère..
Il devina qu’ils lui souriaient et leur fit machinalement signe. L’un d’entre eux lui répondit. Son visage lui était familier. Où l’avait-il vu ? ….Une soirée, la joie d’une rencontre impromptue, la légèreté d’une nuit qui ne finit jamais .. Ils avaient tous ce sourire, cet étrange sourire de quelqu’un qui vous quitte. Ce mélange amer de la joie de ce qui a été et la tristesse de ce qui ne sera plus. …le vide sous ses pieds quand il a appris sa mort…
Il comprit alors.
En un éclair, tout devint lumineux. Ils s’en allait. Vers un autre nulle part, Loin du Pays. Alors qu’il ne fixait plus que la proue et le sillage argenté du navire, il comprit qu’Ils étaient les passagers, la cargaison de ce navire. Bons ou douloureux. Emplis de larmes ou de joie, de triomphes ou de tragédies. Tout ce qui faisait qu’il était L.
Il s’accroupit, contemplant ce spectacle magnifique et effroyable à la fois. Ils ne devaient pas rester ici. Ils n’étaient pas perdus, mais les contempler trop longtemps était trop dangereux pour lui, comme pour eux. Il aurait pu les corrompre, les hanter comme lui les hante parfois.
Il ferma les yeux et se laissa bercer par le bruit de la mer. Ils reviendraient. Ils reviennent toujours. Le vent du Pays les apporte, l’esprit les console et les célèbre.
Il s’endormit paisiblement, étrangement soulagé sachant que là aussi, il les verrait.
Les rêves aussi, à leur propre manière, ramènent les Souvenirs.
..Les ailes dans son dos, quand elle lui a dit oui…
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